L’étude du handicap, d’abord circonscrite au domaine médical, a été investie depuis les années 1980 par les sciences humaines et sociales. Le mot même de handicap invite à une interrogation linguistique. D'abord employé dans le domaine du jeu, notamment du turf, dans lequel il désigne un type d’épreuve où un désavantage, de poids ou de distance, ou est donné aux chevaux les plus performants, il a été étendu au sens de « désavantage quelconque ». Il a été ensuite appliqué à partir des années 1940 aux personnes affectées d’un désavantage physique ou mental (Stiker, 2017).
Reconnu en France comme un handicap depuis 1996 par la loi dite « Chossy », l’autisme est caractérisé avant tout par des « déficits persistants de la communication et des interactions sociales » (Crocq et al., 2015). Pour ce handicap, l’écart à la norme est envisagé tant du point de vue du langage (comme composante de la communication humaine), que des rapports sociaux. Plus précisément qu’entend-on par « hors-normes » quand on parle de l’autisme ? L’analyse des discours au sujet de l’autisme, notamment ceux produits par les personnes autistes elles-mêmes, donne une perspective nouvelle et encore peu explorée sur ce handicap (Angulo & DeThorne, 2019) (Bureau & Clément, 2023). La presse écrite constitue un des moyens de circulation de cette thématique entre domaine médical et espace public. On mettra d’abord en évidence sa place croissante dans la presse : l’autisme est un thème qui prend de l’importance dans le champ discursif public, surtout à partir des années 1990. Si les médias ne véhiculent pas directement (ou nécessairement) des stéréotypes, ils sont un des principaux moteurs du figement de la représentation : le stéréotypage (Boyer, 2008).
On se demandera quels thèmes sont abordés par les médias lorsqu’ils évoquent l’autisme. On s’appuiera sur l’analyse des mots qui lui sont associés et de leurs contextes pour décrire la représentation de la personne autiste qui se dégage de la presse contemporaine.
Constitution du corpus de presse et traitement des données
Le corpus présenté dans cette étude est composé d’articles de presse émanant de trois sources : Le Figaro, Le Monde et Libération, sur une période allant de 2013 à 2021. Le choix de cette période restreinte a été motivé par deux raisons. La première est que le troisième plan autisme entre en application en 2013 et qu’il marque un tournant dans la conception de l’autisme. En effet, ce plan a pour objectif de diffuser les recommandations de la Haute Autorité de la Santé de 2012[1]. Or c’est ce document qui va classer les approches psychanalytiques comme « non-consensuelles »[2]. La psychanalyse commence alors à être écartée du domaine de l’autisme ce qui induira par la suite un changement dans la prise en charge médico-sociale mais aussi dans la perception de l’autisme. Enfin, c’est dans ce plan que l’État renforcera la place de la famille comme des partenaires qu’il faut accompagner au mieux pour qu’ils puissent à leur tour aider leur enfant (Sankey et al., 2019). La seconde motivation de la période choisie est la publication en 2013 du DSM-5, manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, qui donne au diagnostic son appellation actuelle : « Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA) ». Cette nouvelle nomination indique un changement dans la catégorisation. Les anciens diagnostics du DSM-4 comme le « trouble autistique » et le « syndrome d’Asperger » disparaissent au profit d’un continuum plus large reflété par la nomination « spectre ». L’année 2013 est donc une année importante dans les représentations de l’autisme d’un point de vue médical, social et langagier.
Ce corpus a été récupéré via la base Europresse et compte approximativement 1,9 million de mots. Notre approche se veut guidée par le corpus, ou "corpus-driven" (Poudat & Landragin, 2017). Ce sont les résultats obtenus par l’exploration du corpus, notamment à travers les contextes de l’emploi des mots de l’autisme qui nous permettront de comprendre ce que leur usage reflète en matière de représentations. Afin d’étudier les représentations de l’autisme véhiculées par ces différents journaux, nous sommes partie des mots-clés : autisme ; autismes ; autiste ; autistes et enfin Asperger. Ces mots ont été choisis parce que ce sont les plus proches des nominations utilisées pour le diagnostic.
Une fois les articles de journaux récupérés et importés dans le logiciel de textométrie TXM, nous avons procédé à une annotation simple d’une liste de mots. Les mots-clés utilisés comme filtres dans la recherche sur Europresse ont donc été également utilisés comme mots-pivots (ou KWIC) lors de nos requêtes sur TXM. À chacun de ces mots nous avons associé quatre valeurs relevant de la nature du mot (notée « nat » dans le logiciel) : « substantif », « adjectif », « np » (nom propre) et « ind » (indéfini). Le logiciel TreeTagger présentant des lacunes pour annoter ce corpus, nous avons procédé manuellement pour l’annotation en nous basant sur la forme des mots. Notons que la valeur « ind » s’applique seulement si le mot ne correspond pas à une de ces catégories, mais qu’il s’agit principalement des mots employés en autonymie. Nous obtenons les résultats suivants :
|
Occurrences dans le corpus |
substantif |
adjectif |
np |
ind |
autisme |
1612 |
1612 |
0 |
0 |
0 |
autiste |
743 |
100 |
635 |
0 |
8 |
autistes |
946 |
303 |
643 |
0 |
0 |
Asperger |
259 |
18 |
93 |
148 |
0 |
Tableau 1 : Tableau récapitulatif des annotations des mots clés sélectionnés dans TXM
Dans la catégorie « substantif », c’est le mot autisme qui est le plus présent (79,30% des occurrences). Les mots autiste et autistes représentent la grande majorité des adjectifs (environ 93.21% des occurrences). Étudier cette catégorie revient à étudier les constructions avec les adjectifs autiste et la forme autistes au pluriel.
Nous avons privilégié l’usage de l’outil « co-occurrences » de TXM pour cette étude de cas. Il permet de percevoir la relation d’une unité linguistique avec une autre dans une logique d’attraction ou de répulsion (Poudat & Landragin, 2017). En repérant les mots attirés par le mot-pivot, on identifie ses thèmes de prédilection, notamment par l’indice de spécificité. Ce dernier est un chiffre donné par le logiciel TXM dans le cadre de l’étude des cooccurrences qui permet d’observer l’attraction de deux mots entre eux. Plus cet indice est élevé, plus les deux mots sont susceptibles de s’attirer entre eux.
Nous avons appliqué cet outil à l’ensemble des mots que nous avons étiquetés comme « substantifs », ces résultats ont ensuite été triés par indice de spécificité, du plus fort au plus faible. Nous nous sommes concentrée sur les premiers résultats (voir Annexe 1) à partir desquels nous avons pu dégager deux thèmes principaux : l’enfance et la maladie. Puis nous avons suivi la même méthode pour les mots annotés comme « adjectifs » (voir Annexe 2) et nous avons pu dégager trois grands thèmes : l’enfance, la maladie et la famille.
L’enfance comme thème central dans la représentation de l’autisme
Le mot enfant est un des plus fréquents de notre corpus, mais également un des mots les plus souvent rattachés aux mots autiste et autistes. D’après l'index hiérarchique des fréquences généré par TXM, enfants est le 80e mot le plus fréquent, et un des premiers mots lexicaux de notre corpus avec 2296 occurrences. De plus, le premier cooccurrent du mot enfants est autistes, avec 347 occurrences de ces deux mots dans un contexte proche et un indice de spécificité de 278. Il en va de même pour sa forme au singulier enfant, avec 140 occurrences de ces deux mots dans un contexte proche et un indice de spécificité de 113. Il s'agit donc d'un thème central pour notre étude.
Étude du thème de l’enfance pour le mot autisme
Pour le cas du mot autisme, il y a 117 occurrences des mots enfants et autisme dans des contextes proches et un indice de spécificité de 17. L’étude plus approfondie de notre corpus fait ressortir que la majorité des cooccurrences repérées ne se trouve pas dans des constructions identifiables. Elles contiennent les mots autistes et enfants dans un contexte proche sans qu’ils soient articulés dans une structure syntaxique précise. Si les deux mots mis en évidence à l’aide de TXM sont dans une même phrase, celle-ci tend à présenter d’abord l’autisme, puis la population concernée (ici les enfants). Si les deux mots ne sont pas dans la même phrase mais dans un contexte proche, leur lien est alors indirect.
Nous avons pu repérer quatre constructions syntaxiques qui lient le mot autisme et le mot enfants. La première est une construction avec chez, qui restreint l’extension de la saisie référentielle du substantif autisme à une population spécifique (15 cooccurrences). C’est ce que montre l’exemple suivant :
Il faut que les professionnels de la petite enfance et du social bénéficient d'un minimum d'enseignements, pour repérer les premiers signes de l'autisme chez de jeunes enfants. (Le Monde, 2015)
On relève également des constructions avec un verbe évoquant la maladie : atteindre (15 cooccurrences) et souffrir (7 cooccurrences) :
Dans le domaine du handicap, on peut citer la start-up Leka qui développe un robot ludique et interactif pour aider les enfants atteints d'autisme à apprendre et à progresser (Le Monde, 2016)
Dans cet exemple, le verbe atteindre est employé comme participe. Cette construction ressemble à celles que l’on peut retrouver dans le domaine clinique pour désigner les patients comme « patient souffrant d’aphasie » ou « personne atteinte d’un cancer ». Ici, le discours de presse emprunte des constructions liées au domaine médical et psychiatrique. Ces formulations permettent de centrer le discours sur l’enfant plutôt que sur son handicap (Danion-Grilliat, 2006).
Enfin, notre corpus comporte des constructions qui permettent de nommer les enfants présentant ce trouble du neurodéveloppement. C’est ce que nous pouvons remarquer grâce à l’expression : « enfants avec autisme » (6 occurrences) :
Les enfants avec autisme, comme tous ceux qui éprouvent des difficultés de communication, ont besoin de s'appuyer sur le visage de l'autre. (Le Figaro, 2021).
La construction avec la préposition avec permet au lecteur d’identifier le handicap de l’enfant, mais elle met plus de distance entre la personne et le trouble : avec a pour valeur sémantique, selon Le Petit Robert (en ligne, 2023) : « en tenant, en portant, en ayant (qqch.) » ou « qui comporte ». Cette préposition permet de parler des caractéristiques et des attributs d’une personne sans pourtant la désigner dans son ensemble. Ici la préposition permet non seulement de mettre à jour une des particularités de l’enfant, mais aussi probablement de montrer qu’il n’est pas réductible à celle-ci.
D’après l’étude de notre corpus, le mot autisme attire ainsi quatre constructions lorsqu’il est associé au mot enfants. Elles se basent soit sur une préposition : « autisme chez l’enfant », « enfants avec autisme », soit sur un participe : « enfants souffrant d’autisme » et « enfants atteints d’autisme ». Ces constructions introduisent une distance entre le trouble diagnostiqué et l’enfant.
Étude du thème de l’enfance pour les mots étiquetés comme « adjectifs »
Dans le cas de l’adjectif autiste(s), nous avons utilisé la catégorie « adjectif » que nous avons créée afin de les étudier ensemble (et car ils représentent la majorité des occurrences de cette catégorie). L’étude des cooccurrences rapporte que les mots relatifs à l’enfance : enfants, enfant, jeune, jeunes et garçon ont un indice de spécificité assez élevé. Le mot enfants est celui qui possède la co-fréquence et l’indice de spécificité le plus élevé, respectivement 326 et 218,70. Le mot enfant a un indice de spécificité de 81, jeune de 52 et jeunes de 25. Notons que le mot fille n’apparaît pas dans cette liste car son indice de spécificité est bien plus bas : de 6 contre 20 pour le mot garçon[3]. Dans le cadre de l’opération liée au calcul de la cooccurrence de notre corpus, les mots relevés ont non seulement un fort indice de spécificité, mais ils ont aussi un nombre élevé d’occurrences (voir Annexe n° 2).
Dans le cas du mot enfants, sa distance moyenne avec le mot autistes est de 0,8, ce qui signifie qu’il n’y a généralement pas de mots qui les séparent. En regardant plus précisément les co-fréquences, 256 d’entre elles (soit 78,5%) correspondent à la structure « enfants autistes », ainsi dans : « La pédopsychiatrie, qui prend en charge une partie des enfants autistes, se retrouve depuis quelques années dans une crise profonde » (Libération, 2018), la séquence substantif + adjectif observée est celle qui se retrouve le plus dans les mots du vocabulaire de l’enfance. Les structures les plus fréquemment observées sont donc : « fils autiste », « enfant autiste », « enfants autistes » et « garçon autiste ». Le substantif est directement qualifié par l’adjectif et informe directement le lecteur de la nature du trouble de l’enfant.
Comment expliquer l’importance du vocabulaire de l’enfance ? La majorité des cooccurrences de notre corpus concernent l’aspect médical du handicap : diagnostic, prise en charge, solutions thérapeutiques ou encore recherche scientifique. Or le repérage des troubles du spectre de l’autisme se fait aujourd’hui aux alentours de trois ans (Tardif & Gepner, 2019). Un repérage aussi précoce inclut une sensibilisation aux symptômes, notamment pour les parents qui pourraient les repérer chez leur enfant. De plus, la presse nationale se fait le relais des dernières découvertes scientifiques, issues de la recherche sur les troubles du neurodéveloppement, soutenue par la création de groupe de recherche[4] et de cohortes [5].
Un autre thème très largement évoqué par notre corpus est celui de la scolarisation des enfants autistes, notamment en milieu ordinaire. Cette thématique a largement occupé l’agenda politique français qui avait fait de la scolarisation et des apprentissages des volets importants du troisième plan autisme (2013-2017) et du quatrième (2018-2022). Les médias agissent alors comme un contrôle des réussites ou des échecs des politiques publiques mises en place et s’en font le relais auprès de la population.
La place de la famille dans le traitement médiatique de l’autisme
Parmi les résultats avec les indices de spécificité les plus hauts pour les mots annotés comme adjectifs (voir Annexe n° 2), nous pouvons remarquer que quatre d’entre eux relèvent du vocabulaire de la famille : fils, parents, mère et famille. Pour les cooccurrences avec le mot fils, la construction la plus courante est « fils autiste » (43 occurrences sur 83). Pour les trois autres constructions, les mots sont séparés du mot autiste par le lemme enfant qui joue ici le rôle de complément du nom comme dans l’exemple ci-dessous :
Les opposants à la méthode se sont surtout fait entendre à travers les associations de parents d'enfants autistes, qui dénonçaient dans le pack une pratique « barbare ». (Le Figaro, 2015)
Ici, l’enfant autiste n’est pas évoqué seul, c’est sa famille qui est mise en avant dans notre corpus : elle est présentée, avec son parcours. La presse rapporte ces récits, donnant parfois la parole aux parents sous forme de témoignages avec du discours direct. La presse se fait aussi le relais des associations de parents et de leurs actions. À la lecture des contextes droits et gauches de ces différentes occurrences, on peut constater une présence importante du vocabulaire de l’émotion et de la situation négative (colère, souffrance, difficultés, drame, etc.), mais aussi de l’action militante (conflit, dénoncer, combat, etc.). Les parents sont pris dans des situations de vie complexes mais cherchent à faire évoluer la question de l’autisme, et la presse nationale s’en fait le relais.
Cette dynamique de lutte sociale des familles d’enfants autistes est connue dans la littérature. Les associations de parents ont porté les mouvements de revendications pour les personnes autistes et elles sont devenues des acteurs très influents des politiques publiques, en collaboration avec l’État (Kachani, 2017). En discours, l’évocation de l’enfant autiste est liée constamment à celle de ses parents et des dispositifs associatifs créés par ces derniers. Les associations de personnes autistes, notamment celles pratiquant la pair-aidance (ou assistance entre pairs) se sont formées bien plus tard, comme dans le reste du domaine de la santé mentale (Durand, 2020).
Entre la santé et l’emploi : quelle place pour l’autisme dans la société ?
Aborder l’autisme comme une maladie
Dans le cas des mots étiquetés comme substantifs, le vocabulaire de la maladie apparaît à plusieurs reprises. Le mot troubles est un des co-fréquents avec l’indice de spécificité le plus haut (94). Il peut correspondre à la construction : « troubles du spectre de l’autisme » (22 occurrences) ou faire le lien avec d’autres pathologies (53 occurrences) ou d’autres troubles du neurodéveloppement[6] (62 occurrences), parfois les deux en même temps. Le lien avec la maladie est aussi marqué par l’indice de spécificité élevé de schizophrénie (42).
En ce qui concerne les constructions syntaxiques, nous avons déjà eu un aperçu de cette conception du trouble du spectre de l’autisme dans l’étude du thème de l’enfance avec les constructions comme « enfants atteints d’autisme » ou « enfants souffrant d’autisme » qui présentent l’enfant autiste comme malade. De plus, l’usage du verbe souffrir présuppose que la maladie est vécue de manière douloureuse. Dans l’ensemble du corpus, on relève trois cooccurrents avec de forts indices de spécificités : atteints (indice de spécificité : 18.99), atteint (indice de spécificité : 15.81) et souffrant (indice de spécificité : 15.47), par exemple dans : « Il rêve d'indépendance et d'amour. Sauf que le jeune homme, incollable sur l'Antarctique et ses manchots, est atteint d'autisme. » (Le Figaro, 2017). Ici, les mots marqués positivement « indépendance » et « amour » sont mis en opposition avec « atteint d’autisme » par la locution « sauf que ». Le participe met donc en relief le fait que la maladie est vécue négativement.
Bien que le mot maladie apparaisse peu dans notre corpus et ait un faible indice de spécificité (8), ces participes présupposent que l’autisme est une maladie. En effet, le verbe atteindre a deux grandes acceptions « parvenir au niveau de » ou bien « parvenir à frapper » (Petit Robert, 2023). Cette seconde acception a développé un sens littéral : « 1 (1160) Toucher au moyen d’un projectile » qui a lui-même engendré un sens figuré qui correspond à ce que nous trouvons dans notre corpus : « (xve ◊ fig. du 1°) Avoir un effet nuisible sur, faire du mal à (qqn) » (Petit Robert, 2023). Ce sens, orienté négativement, ne donne pas directement à penser à la maladie, mais c’est ce sens figuré que nous retrouvons dans l’adjectif atteint qui met en lumière le lien entre le verbe atteindre et la maladie, notamment mentale dans la définition suivante : « 2 Fam. Troublé mentalement. Il est bien atteint. ➙ malade ; fam. grave » (Petit Robert, 2023).
Les participes employés ici établissent donc un lien entre le mot autisme et la maladie. Ce constat peut être corroboré par d’autres mots avec un fort indice de spécificité dont au moins une des acceptions appartient au champ lexical de la maladie : diagnostic (indice de spécificité : 27.88 pour les mots annotés comme substantifs) et syndrome (indice de spécificité : 15.25 pour les mots annotés comme substantifs).
Or, utiliser le mot de « maladie » pour parler de l’autisme ne fait pas consensus, notamment parmi les associations de parents. Certaines considèrent l’autisme comme une maladie : « L'autisme est une maladie neurologique »[7] tandis que d’autres rejettent cette appellation : « C’est un trouble très précoce du développement cérébral du bébé »[8]. Pour les associations de personnes autistes, cette conception tend à être rejetée : « L’autisme n’est pas une maladie, mais un ensemble de conditions et de variations neurologiques »[9], « L’autisme est une particularité humaine biologique naturelle »[10].
Mais la raison de l’usage de ces mots dans le discours de presse vient probablement du monde médical. L’histoire du droit des personnes malades et handicapées et de leur prise en charge par le système hospitalier est marquée par un changement sémantique majeur observable dans les textes juridiques relatifs aux structures de soins. Le premier texte abordant la notion des droits des personnes hospitalisée est l’arrêt Teyssier de 1942 qui utilise la formulation : « droit du malade ». La sémantique évolue peu pendant quelques décennies, par exemple en 1974 on trouvera la formulation : « malade hospitalisé »[11]. C’est la circulaire du 6 mai 1995[12] qui semble utiliser en premier la formulation « personne hospitalisée » (Avisse, 2018). La notion de « personne », et plus largement de « patient » prend de l’importance dans le discours du corps médical. C’est ce mouvement sémantique que l’on retrouve dans notre corpus.
La thématique de l’emploi des personnes handicapées
L’étude des mots étiquetés comme adjectifs met en évidence un fort indice de spécificité pour le mot trisomique (28,14). Ces handicaps semblent de prime abord très différents : l’un est un trouble du neurodéveloppement, l’autre est une anomalie chromosomique. Il nous paraissait surprenant de les voir associés dans notre corpus. Ces cooccurrences surviennent avant tout dans des articles portant sur une thématique chère à la presse nationale : l’emploi.
Il y a dans notre corpus 20 cooccurrences des lemmes autistes et trisomiques. La moitié des occurrences réfère à des dispositifs d’insertion à l’emploi commun à des personnes autistes et à des personnes porteuses de trisomie 21 : un « fournisseur de l’industrie automobile » (1 occurrence), le « magasin de jouet Wiota » (1 occurrence), mais surtout les « cafés Joyeux » (9 occurrences). Les cafés Joyeux sont un concept de café développé depuis 2017 où les employés sont majoritairement des personnes trisomiques ou avec un handicap cognitif comme l’autisme[13].
Ce lundi matin, alors que le chef de l’État est attendu à l'inauguration d'un café solidaire sur l'avenue des Champs-Elysées, où sont employées des personnes trisomiques ou autistes, la secrétaire d'État au handicap passe les consignes. (Le Monde, 2020)
Cet exemple présente le rapprochement entre les deux populations par la conjonction de coordination ou, il indique au lecteur que seulement ces deux types de personnes sont embauchées. La mention du président de la République et de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées met en évidence la portée politique de la question de l’emploi et du handicap.
Il s’agit d’un sujet de société très présent dans la presse, notamment parce que le taux de chômage des personnes handicapées est plus élevé que dans la population générale, 14% contre 8% pour l’année 2020[14]. Les personnes handicapées auraient donc moins de chance de trouver un emploi du fait de représentations négatives. De manière générale, les personnes handicapées sont perçues comme plus chaleureuses mais moins compétentes que les personnes sans handicap (Rohmer & Louvet, 2011). Plus précisément, les personnes en situation de handicap mental ou psychique sont souvent jugées moins compétentes que les autres personnes handicapées, plus spécifiquement les personnes autistes ou trisomiques (ibid.).
Ainsi, les deux handicaps associés dans notre corpus sont de natures très différentes, mais ils sont tous les deux affligés de représentations très négatives, notamment sur leurs compétences. La présentation de parcours d’insertion à l’emploi pour des personnes autistes et atteintes de trisomie 21 dans notre corpus semble les représenter comme des personnes compétentes. Elles peuvent accéder au marché de l’emploi, notamment en mettant en avant les politiques publiques en faveur de leur insertion professionnelle.
Conclusion
L’étude des cooccurrences autour des mots autiste, autistes, autisme et Asperger dans la presse contemporaine a révélé trois éléments majeurs : l’appréhension de l’autisme en tant que problématique de l’enfance et de la famille, le souci d’une mise en avant de la personne plutôt que du trouble, le double traitement du sujet, relevant de la rubrique « Santé » et de la rubrique « Emploi ».
Le discours de presse place la famille en tant qu’acteur central dans le domaine de l’autisme. Des articles sont consacrés aux difficultés qu’elle ressent au quotidien et aux solutions qu’elle tente d’apporter : elle apparaît comme un élément indispensable dans la prise en charge des enfants. Du fait de ce contexte, la représentation de la personne autiste qui se dégage de notre corpus est celle d’un enfant, généralement un jeune garçon, dépendant de sa famille.
Parler des enfants autistes est sans doute pour la presse une première manière d’éviter la nomination « les autistes », qui réduirait les personnes autistes à leur trouble. L’analyse du corpus nous a également révélé que le discours de presse utilise des mots et des constructions comme « personnes souffrant d’autisme » ou « personnes atteintes d’autisme », selon une stratégie de nomination qui a pour but de mettre la personne au centre et de ne plus les réduire à leurs troubles. Ces « personnes autistes » ou « atteintes d’autisme » sont évoquées non seulement dans des articles traitant des questions de santé, mais aussi d’emploi. Le fait de voir l’autisme lié à la trisomie 21 nous a étonnée de prime abord, mais il semblerait qu’en abordant la thématique de l’emploi des personnes avec un TSA, la presse tende à les présenter avant tout comme des personnes compétentes, sans chercher à les réduire à leur handicap.
Cependant ces affirmations restent à nuancer. La nomination essentialisante « un autiste » reste aussi présente dans notre corpus. Nous avons également repéré au cours de notre étude des emplois métaphoriques des mots autisme et autistes, avec le plus souvent une axiologie négative : « Ainsi, quand un élu guadeloupéen réclame un « engagement plus fort de l'État », un collègue mahorais va plus loin et dénonce l’« autisme Asperger [...] des hautes sphères nationales ». » (Le Figaro, 2019). Il serait intéressant de mener une étude plus approfondie des termes et constructions utilisées en fonction des acteurs mobilisés par le discours de presse (corps médical, parents, personnes autistes). Cela nous aiderait à voir quels acteurs sont privilégiés par ce genre discursif, et à dégager des représentations qu’ils portent. Les confronter permettrait d’élaborer un panorama plus clair de l’imaginaire de ce handicap.
Annexes
Annexe 1 : Tableau des résultats des cooccurrences par indice de spécificité pour les mots étiquetés comme « substantifs »
Occ |
Fréq |
CoFréq |
Indice |
DistMoy |
l' |
31372 |
1457 |
186.1115 |
1.9018531 |
troubles |
945 |
160 |
94.05 |
4.51875 |
spectre |
148 |
55 |
53.1851 |
2.3454545 |
Asperger |
259 |
67 |
52.6528 |
3.1343284 |
plan |
377 |
77 |
52.0752 |
1.5454545 |
schizophrénie |
128 |
45 |
42.3991 |
3.1777778 |
charge |
709 |
86 |
39.3315 |
3.2674417 |
prise |
636 |
76 |
34.4315 |
4.605263 |
diagnostic |
328 |
50 |
27.886 |
3.98 |
d' |
29804 |
872 |
27.5218 |
3.1433487 |
stratégie |
162 |
36 |
26.204 |
2.6944444 |
forme |
461 |
50 |
21.1129 |
1.82 |
ROR |
33 |
17 |
20.0016 |
2.6470587 |
trouble |
262 |
37 |
19.7086 |
3.9189188 |
lien |
274 |
37 |
19.037 |
3.4054055 |
atteints |
143 |
28 |
18.9921 |
2.9285715 |
chez |
1233 |
79 |
18.2596 |
3.2025316 |
enfants |
2296 |
115 |
17.7743 |
4.8869567 |
|
|
|
|
|
neurodéveloppement |
44 |
16 |
15.8442 |
4.125 |
atteint |
157 |
26 |
15.8181 |
2.6538463 |
interministérielle |
25 |
13 |
15.5091 |
3.3846154 |
souffrant |
96 |
21 |
15.475 |
2.1904762 |
sensibilisation |
32 |
14 |
15.3031 |
2.4285715 |
syndrome |
212 |
29 |
15.2558 |
4.448276 |
Journée |
21 |
12 |
15.03 |
4.0 |
vaccin |
144 |
24 |
14.7277 |
3.9166667 |
haut |
233 |
29 |
14.16 |
2.3448277 |
infantile |
43 |
14 |
13.1715 |
1.5 |
Alzheimer |
73 |
17 |
13.1493 |
3.4117646 |
Annexe 2 : Tableau des résultats des cooccurrences par indice de spécificité pour les mots étiquetés comme « adjectifs »
Occ |
Fréq |
CoFréq |
Indice |
DistMoy |
enfants |
2296 |
326 |
218.7095 |
0.8190184 |
enfant |
1192 |
138 |
81.3016 |
1.0072464 |
fils |
565 |
78 |
52.1572 |
1.6410257 |
jeunes |
722 |
86 |
52.0717 |
1.1860465 |
personnes |
1289 |
100 |
43.3638 |
1.08 |
Asperger |
259 |
44 |
33.8039 |
1.4545455 |
diagnostiqué |
53 |
24 |
30.357 |
0.6666667 |
trisomiques |
35 |
20 |
28.1435 |
1.45 |
adultes |
285 |
39 |
26.4105 |
0.7948718 |
jeune |
798 |
60 |
25.7085 |
2.1 |
garçon |
178 |
28 |
20.8852 |
0.75 |
ans |
3041 |
110 |
19.3716 |
3.5 |
un |
20522 |
430 |
18.8102 |
3.6674418 |
parents |
930 |
54 |
18.1613 |
3.2407408 |
autistes |
946 |
53 |
17.1825 |
5.4528303 |
diagnostiquée |
21 |
11 |
15.1696 |
0.18181819 |
autiste |
743 |
41 |
13.2783 |
0.63414633 |
diagnostiqués |
38 |
12 |
13.2487 |
0.6666667 |
mère |
761 |
41 |
12.9411 |
4.4390244 |
charge |
709 |
39 |
12.6299 |
4.051282 |
Josef |
27 |
10 |
11.9485 |
2.9 |
Diagnostiqué |
6 |
6 |
11.2711 |
0.16666667 |
Schovanec |
23 |
9 |
11.0673 |
2.5555556 |
familles |
555 |
32 |
11.0366 |
3.9375 |
des |
27085 |
490 |
10.8913 |
3.844898 |
scolarisation |
74 |
11 |
8.3757 |
2.8181818 |
prise |
636 |
30 |
8.3543 |
5.1 |
haut |
233 |
17 |
7.6753 |
2.5294118 |
Dachez |
15 |
6 |
7.6162 |
5.3333335 |
Bibliographie
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[1] « Les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) et de la Haute autorité de santé (HAS) feront référence pour l’ensemble des professionnels. », Ministère de la Santé et de la prévention [en linge] https://sante.gouv.fr/archives/archives-handicap/l-autisme/le-plan-autisme-2013-2017/ (Consulté le 10/07/2023)
[2] Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent, Haute Autorité de santé, Mars 2012 [en ligne] : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2012-03/recommandations_autisme_ted_enfant_adolescent_interventions.pdf (consulté le 10/07/2023)
[3] Ceci est sans doute explicable par l’état actuel de la littérature sur l’autisme qui fait état d’un ratio d’une fille pour quatre garçons présentant un TSA (Tardif & Gepner, 2019).
[4] Voir le groupement d’Intérêt Scientifique Autisme et TND lancé en 2014 sous l’impulsion du troisième plan autisme : https://autisme-neurodev.org/le-gis/ [En ligne], consulté le 16/07/2023
[5] On peut citer en exemple les cohortes ELENA (https://elena-cohorte.org/cohorte-elena/presentation [En ligne], consulté le 16/07/2023) et MARIANNE (https://cohorte-marianne.org/cohorte-marianne/presentation-de-la-cohorte-marianne/ [En ligne], consulté le 16/07/2023). La première, née en 2010 se concentre sur les trajectoires développementales d’enfants avec un trouble du spectre de l’autisme âgés de moins de seize ans. La seconde, lancée en 2022, porte sur d’éventuels facteurs de risques génétiques et environnementaux.
[6] Notons que la catégorie des troubles du neurodéveloppement (TND) est large et variable selon les institutions. La stratégie nationale pour l’autisme actuelle inclut dans les TND les troubles du spectre de l’autisme (TSA), le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et les troubles des apprentissages (aussi appelés troubles « dys »). Le DSM-5 rajoute, quant à lui, le handicap intellectuel, les troubles de la communication et les tics (Crocq et al., 2015). Pour cette étude, nous nous attacherons à la définition donnée par la stratégie nationale pour l’autisme.
[7] https://vaincrelautisme.org/comprendre (consulté le 29/11/2022)
[8] https://www.autisme-france.fr/quest-ce-que-lautisme (consulté le 29/11/2022)
[9] https://cle-autistes.fr/politique/autisme/ (consulté le 29/11/2022)
[10] https://allianceautiste.org/distinction-fondamentale-de-l-autisme/ (consulté le 29/11/2022)
[11] Décret n°74-27 du 14 janvier 1974 relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux et circulaire no 132 du 18 décembre 1970.
[12] Circulaire DGS/DH no 95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une charte du patient hospitalisé.
[13] https://www.cafejoyeux.com/fr/content/7-le-concept-cafe-joyeux (consulté le 9 novembre 2022)
[14] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5392000?sommaire=5392045 (consulté le 16 juillet 2023)